Les paramilitaires supplantent les caïds à Rio

BRESIL. Dans les favelas contrôlées par les narcotrafiquants, les milices tentent de faire le ménage. En échange du maintien de lordre, elles exigent un paiement et se livrent aussi au racket.

Il naura fallu que deux jours pour expulser les trafiquants de drogue de la favela Kelson, à Rio de Janeiro. Au soir du 5 novembre, après la messe, une cinquantaine dhommes en noir ont envahi le bidonville. Le lendemain, ils étaient déjà maîtres des lieux, après un bref échange de tirs avec les caïds. La Kelson est lune des 92 favelas, sur les près de 800 que compte Rio, désormais dominées par des milices, selon un rapport officiel cité par le journal O Globo.

Les paramilitaires chassent ou liquident les truands, en particulier les narcotrafiquants. Fortement armés, ces derniers contrôlent une bonne partie des bidonvilles, où se trouvent les points de vente de la drogue. Les attentats qui ont fait 19 morts, le 28 décembre à Rio, seraient leur riposte à lavancée des milices.

Formées de policiers et dex-policiers, de militaires, de pompiers, dagents pénitentiaires et même de délinquants «repentis», ces milices reprennent au narcotrafic une favela tous les douze jours, daprès le rapport. Elles agissent également en justiciers. En échange du maintien de lordre, les paramilitaires exigent le paiement dune somme mensuelle. Ils se livrent également au racket, sur la vente des bonbonnes de gaz ou les transactions immobilières, mais leur capacité à rétablir le calme leur attire la sympathie dune partie des habitants des favelas.

«Ces derniers ne veulent pas de la guerre que se livrent les caïds (ndlr: pour le contrôle des points de vente de la drogue), ni que leurs fils les rejoignent, note Mario Sérgio Duarte, commandant du Bataillon des opérations spéciales de la police (BOPE). Pour eux, les milices sont donc un moindre mal.»

Pour Silvia Ramos, sociologue à lUniversité Candido-Mendes, «leur essor est dû à labsence de lEtat, et notamment de la police, dans les quartiers pauvres. Le terrain a donc été occupé par les trafiquants de drogue et maintenant les milices. Les paramilitaires arrivent à chasser les caïds des favelas car ils restent sur place. Les policiers eux ny parviennent pas car ils se bornent à faire des incursions dans les bidonvilles». Incursions qui se soldent plus souvent par lexécution de civils innocents que par larrestation de délinquants.

Linspectrice de police et députée Marina Maggessi voit dans les milices «une réaction des policiers qui (ndlr: mal payés) vivent aussi dans les favelas et tentent de protéger la population et leur propre famille».

«Si cétait le cas, cest la corporation policière qui aurait réagi, objecte le chercheur Ignacio Cano. Lobjectif des milices nest pas de libérer les favelas (du joug des caïds), mais de faire de largent. Et, à linstar des narcotrafiquants, elles simposent par la coercition et lassistanat», pour gagner la population. Les favelados nont dautre choix que daccepter la présence des milices et subissent des menaces sils refusent le racket, mais ils ont reçu des aides alimentaires pour Noël.

Pour Ignacio Cano, la facilité avec laquelle les paramilitaires expulsent les caïds montre quils les connaissaient bien et que le narcotrafic est affaibli. «Lintensification de la guerre que se livrent les gangs de narcotrafiquants a réduit la vente de la drogue et donc les salaires payés aux gens qui travaillent pour ces gangs, mais aussi les pots-de-vin versés aux policiers pour fermer les yeux sur leurs activités», note-t-il. Selon lui, cela a pu encourager certains habitants à dénoncer les caïds et les policiers à ravir le contrôle de la favela à ceux qui les soudoyaient, afin daccroître leurs profits.

Daprès la mairie de Rio, les rentrées mensuelles des «taxes» diverses perçues par les milices rapportent jusquà 163000 francs suisses par mois, et un policier qui les rejoint peut gagner dix fois plus que le salaire que lui verse la corporation.

Les autorités ont réagi de manière ambiguë à lavancée des milices. Le maire de Rio a semblé les légitimer en parlant d«autodéfense» de la favela. Les spécialistes de la sécurité soupçonnent les pouvoirs publics de soutenir en sous-main les paramilitaires afin de garantir lordre dans les favelas pendant les Jeux Panaméricains, qui auront lieu à Rio en juillet. Une grande partie des favelas «prises» par les milices se trouvent en effet dans la région de la ville où se tiendra lévénement sportif. De plus, selon le commandant du BOPE, «la police ferme les yeux» sur linvasion des bidonvilles par les paramilitaires.

Le nouveau gouvernement de lEtat de Rio, dont dépend la sécurité publique, admet lexistence des milices. Les responsables assurent que lenquête est en cours et que les policiers éventuellement impliqués seront punis.

Pour la sociologue Silvia Ramos, la police doit également cesser dêtre violente envers les favelados et sinstaller en permanence dans les régions pauvres. Le secrétariat à la Sécurité publique de Rio estime quune telle mesure doit aller de pair avec lintégration de ces régions (où les services publics sont encore insuffisants) et le développement du renseignement pour réduire la criminalité. Des plans qui se heurtent au manque de fonds de l’Etat.

Chantal Rayes, de São Paulo

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